OBR Martin Keruzoré, ‘Un premier round…’

Un premier round sans trop de dégât. A première vue, les bonhommes et le bateau vont bien. Intérieurement, c'est une toute autre histoire.

Cela fait une semaine aujourd’hui que nous avons largué les amarres, dit au revoir. Une semaine que nous nous sommes éloignés de tous contacts et de tout confort. En approche du point Némo (48°52.6′S 123°23.6′W), nous serons bientôt plus proches de nos amis dans l’espace que de toutes civilisations terrestres. Le morceau de caillou le plus proche se trouvant à plus de 2 600 km de notre petit bateau rouge.

Une semaine, des heures d’efforts et de résistance à en croire les cicatrices du temps laissées sur les gueules de nos marins. Les quarts passés sur le pont sont interminables, quatre heures sans fin, sans horizon. Le temps est gris, la mer est forte et les paysages défilent à grande vitesse sans que personne n’y porte une réelle attention. On retrouve les regards d’un lundi matin, d’un retour au bureau après un long week-end. Ces visages, emprisonnés dans un ciré humide et une cagoule en néoprène en disent long. Ces yeux vides, fermés, presque aveuglés par tant d’efforts. Nous naviguons dans un nuage de froid, glaçant et pénétrant, frappant au cœur les équipiers, un froid qui te prend et t’affaiblit avec le temps.

Cette première semaine n’était qu’un galop d’essai, une mise en bouche de ce que le Pacifique nous réserve encore. La semaine suivante s’annonce de même goût mais d’une toute autre intensité. Encore plus de vent, plus de houle, plus Sud, plus froid, plus de fatigue, plus éprouvante, encore. Jusqu’où ces filles et ses gars peuvent aller et où sont leurs limites ? La réponse est simple : ils n’ont pas le choix, il n’y a pas d’échappatoire. La dépression est trop importante pour prendre les chemins de traverse. Il faut y aller, la réussite à la clef, cible de toutes les motivations : le Cap Horn, comme trophée.